Pourquoi les primes Paris-Roubaix femmes sont ridicules et symptomatiques d’un monde du sport encore sexiste ?

Hi,

J’espère que vous allez bien ? Long titre pour un long article à débat, ça faisait longtemps. Je m’en suis insurgée vendredi sur Twitter et sur Instagram. Comme à chaque fois qu’on parle de sport femme et d’argent, je reçois toujours les mêmes arguments pour justifier ce statu quo. Aujourd’hui j’avais donc envie d’y répondre point par point, d’une part pour vous donner les armes quand vous les affrontez  d’autre part pour vous éclairer si jamais vous ne partagez pas mon avis (ça arrive!)

Je me suis dit que j’allais prendre le temps de répondre à chaque argument que j’ai reçu pour “justifier” cette différente financière hallucinante entre les gagnant.es femmes et hommes sur Paris-Roubaix. Pour rappel, cette compétition cycliste a lieu chaque année d’ordinaire au printemps (mars ou avril). Cette année, la date était donc exceptionnelle (coucou la pandémie).  Surnommée « l’enfer du Nord »,  le parcours a la particularité d’inclure plusieurs secteurs pavés. Mais pas de jolis pavés comme dans certains vieux centres villes ou comme les Champs-Elysées, non de gros pavés bien déformés. Quand l’épreuve se déroule sous la pluie, la boue ajoute à la difficulté et aux risques de chutes. Bref, c’est une légende, de par son histoire (plus ancienne course cycliste homme, créée en 1896) que par son parcours. (plus d’info sur le site officiel ou la page wikipedia)

Depuis cette année, elle propose ENFIN une édition femme (c’est l’une des dernières à le faire lol). C’est donc historique sauf si on rentre un peu dans les détails et notamment les primes pour les cyclistes gagnant.es :

1. C’est normal qu’elles ne soient pas payées comme les hommes car elles ne font pas les mêmes performances que les hommes / elles ne font pas la même course. (format plus court par exemple ou des chronos “moins rapides” si on généralise à d’autres sports) 

Dans le cas Paris-Roubaix: Alors c’est vrai, les femmes ne couraient pas le même nombre de kilomètres que les hommes, voici le détail :

FEMME : 116,5km (Denain>Roubaix)

HOMME: 258km (Compiègne > Roubaix)

Mais si on suit cette logique de gratification en fonction de la performance, on aurait donc dû donner une prime au kilomètre afin d’être équitable sur le traitement. En se basant sur la prime du 1er homme : 30 000 euros, avec un petit calcul facile on obtient: 116,3euros/km

La 1ere femme aurait dû gagner : 13 488,4 euros  (soit quasiment le double de TOUTES les primes femmes distribuées ce jour-là).

De plus, l’édition femme était aussi diffusée sur France 3 la veille, donc en France, niveau couverture médiatique nous étions plutôt BON et ASO (organisateur de la course) a donc dû se mettre dans les poches bien suffisamment ET bien assez pour doter davantage les primes femmes (7005 euros en tout hin!) tout comme il le fait pour les hommes (oui car rien n’oblige l’organisation a donné autant aux hommes!)

Si on reste dans le cadre du cyclisme, l’UCI (la fédération internationale du cyclisme) s’est engagée à augmenter ET égaliser les primes pour les gagnantes d’ici 2022. En septembre dernier avait lieu les championnats du monde, samedi pour les femmes élites, dimanche pour les hommes élites. Vous avez certainement dû en entendre parler, du moins les HOMMES puisqu’Alaphilippe a prolongé son maillot arc-en-ciel d’un an avec sa victoire. Peut-être l’ignoriez-vous mais ici aussi la course Homme et la course FEMME sont différentes, la course femme étant plus courte (157km VS 268km)… Et pourtant, les primes sont les mêmes 🙂 Alors que clairement, la couverture médiatique ne l’était pas.

Si on sort du cadre particulier du Paris-Roubaix et qu’on s’intéresse à d’autres sports, de nombreux organisateurs proposent LES MÊMES primes homme et femme même si la compétition femme est différente (par exemple en escalade des voies aux difficultés différentes). C’est reconnaître que OUI les hommes et les femmes n’ont pas le même physique, ne peuvent donc pas fournir la même performance MAIS ont le droit à un traitement équitable pour un même classement et une compétition aux mêmes enjeux.

Personnellement, je trouve cette “discrimination positive” (le terme n’est pas adapté) normale quand on connait les difficultés que rencontrent les femmes dans leurs pratiques sportives… à tous les niveaux et dès l’adolescence. Ce n’est pas non plus “diminuant’ de reconnaître que les femmes ne peuvent pas forcément faire exactement les mêmes exploits physiques et qu’il faut adapter la compétition… mais pas forcément les récompenses (puisque c’est le sujet de l’article). Bien entendu on peut débattre de la compétition en elle-même: faut-il nécessairement adapter les compétitions aux femmes ? (en considérant qu’elles existent déjà lol puisque pour Paris-Roubaix on aura attendu plus de 120 ans !) À mon avis c’est au cas par cas qu’il faut avoir cette réflexion, en fonction de chaque discipline. Je me répète ce n’est pas non plus le débat ici.

Ce qui semble gêner certaines personnes, c’est que PARCE QUE la compétition ou la performance de la femme est MOINS bonne que l’homme (le chrono, la longueur… j’insiste sur la notion de “bonne”), elles doivent naturellement être moins bien payées. Bah là les amis, on est pas sortis de l’auberge. La plus rapide des femmes ne pourra jamais courir aussi vite que le plus rapides des hommes, quelque soit la distance prise. Il faut sortir de cette logique puérile de la grosse kekette. On a inventé des classements par genre pour gratifier la performance à la hauteur de ce qui est possible pour chacun.e donc on récompense à cette même hauteur. Tu es 1er et tu es 1erE tu reçois la même chose. On récompense ce classement, n’en déplaise à Jean-Michmich depuis son canapé qui n’a pas sorti son vélo depuis juillet et ses baskets depuis février.

Bref, en théorie, rien ne justifie ce traitement financier ahurissant sur Paris-Roubaix… et qui peut encore trop souvent se rencontrer sur d’autres compétitions. Dans les faits, même la plus petite compétition de course à pied arrive à offrir les mêmes primes hommes femmes…

 

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2. Les compétitions femmes n’ont pas assez de couvertures médiatiques ET donc de sponsors c’est pour ça qu’elles sont moins bien récompensées !

Et j’ajouterai même moins bien payées voire pas payées du tout. Si on s’intéresse aux compétitions nationales voire internationales dans de nombreux sports (pas que le cyclisme), on s’aperçoit que beaucoup d’athlètes ou d’équipes femme n’ont peu ou pas le statuts professionnels. Elles ne vivent pas de leur sport et donc travaillent à côté. Ceci a forcément des conséquences sur leur niveau, leur performance ou encore la durée de leur carrière.  Il parait évident qu’en travaillant, en ne pouvant pas se consacrer à 100% à son sport, une femme puisse difficilement atteindre un haut niveau ou un niveau équivalent aux hommes pro.  Et j’émets un bémol, des femmes y parviennent tout de même. L’exemple le plus marquant est  celui de Anna Kiesenhofer, mathématicienne et professeure qui remporte la médaille d’OR aux JO de cyclisme. Vous allez me dire que c’est anecdotique ? C’est plutôt une généralité. Renseignez-vous sur les équipes femme de votre sport favori, vous serrez surpris.e par le nombre de femmes travaillant à côté, n’ayant pas de sponsors, se démerdant.

Au-delà des performances, cela a aussi un impact sur le développement de ces sports au même niveau de compétition que celui des hommes. Bah oui, il faut des cyclistes, des équipes, des participantes si on crée des éditions “féminines”… sauf qu’on ne veut pas en créer tant qu’il n’y a pas assez de participantes, mais celles-ci ont besoin de sponsor, les sponsors ont besoin de couvertures médiatiques. Puis les spectateurs ont besoin de performance de qualité (combien de fois on a entendu les footeux se plaindre de la qualité de jeu de femmes footballeuses “c’est pas du vrai foot niania”…mais personne pour leur expliquer qu’elles bossent le restant de la semaine et ne se font pas masser comme Messi, n’ont pas un jet privé pour se rendre au compétition…allez je plaisante, mais c’est encore la réalité pour une majorité de joueuses, plus largement d’athlètes).

Vous voyez le problème ? De nombreuses fédérations, pour casser ce cercle vicieux ont investi massivement et depuis plusieurs décennies dans les sections féminines afin de tendre vers l’égalité (c’est le cas en Triathlon!), recruter des athlètes et proposer des élites. Les choses changent !

Mais il faut aussi que les medias y mettent du leur, les sponsors aussi. Le CSA impose chaque année un pourcentage de retransmission des compétitions féminines (y compris à France Télévision) avec des objectifs précis… Les audiences ne sont pas encourageantes, elles sont A CHAQUE FOIS au-delà de toutes les espérances. Elles sont la preuve qu’il y a un réel intérêt dès qu’on prend la peine de diffuser (et qu’on investit lol). Elles sont la preuve que le public est prêt et en a envie. Elles sont la preuve que les droits TV peuvent être mieux valorisés. Elles sont aussi la preuve que le sport femme, même si “différent” (guillemet) a totalement sa place et n’a rien à prouver ni à retirer au sport homme. Les femmes SONT l’avenir de nombreuses fédérations et de sports qui peinent à se renouveler.

Pourtant, si vous ouvrez un journal comme l’Equipe, vous verrez toujours les résultats sportifs femme absents ou relégués derrière un énième résultat de football. Pourtant, si vous regardez un dimanche soir “tout le sport”sur France 3, vous aurez l’impression que les femmes ne font même pas de sports tellement nous y sommes brutalement absentes (alors que c’est le service public!). Mais si on regarde qui écrit, qui dirige ces médias… vous ne serrez pas surpris de voir une majorité d’homme. Un sport dirigé, diffusé, sponsorisé par et pour les hommes, las, sans surprise.

Heureusement les réseaux sociaux sont là et nous n’attendons plus des médias traditionnels pour profiter de la magie et des émotions que les compétitions femmes peuvent nous apporter.   Malheureusement, ce n’est pas comme ça que le sport femme peut percer, que les femmes puissent enfin être reconnues comme les hommes. Tout comme eux, elles ne font pas “que” ça pour la gloire du podium. Parce que la passion ne paye pas, ne te fait pas manger, parce que les salaires sont encore loin d’être égaux (bah oui en sport aussi c’est la même soupe lol), il faut que les primes soient au rendez-vous pour envoyer des signaux forts.

Bien sûr que cela a un coût de “diffuser” une compétition femme, mais en 2021 il faut que les organisateurs imposent cette parité quitte à réduire le budget accordé aux hommes pour équilibrer celui des femmes (lol dans les faits, le budget augmente, on va pas donner moins aux messieurs quand même)

On ne peut pas attendre, comme le suggère certains journalistes, qu’une course “fasse” ses preuves pour avoir des primes dignes de ce nom. On ne peut pas attendre 100 ans pour que les primes augmentent.

Et finissons par l’argument le plus bête que j’ai reçu:

3.” Sois déjà contente qu’il y ait ENFIN une édition femme… faut arrêter de tout le temps se plaindre et se satisfaire de ça “

L’ironie de la chose c’est que cette réponse est souvent formulée par des femmes ! Je laisse le choix à chacune de militer ou non, de se satisfaire ou non de la situation actuelle. J’aimerais qu’elles laissent tranquilles celles qui le font.  Personnellement, je ne peux pas me satisfaire des petites miettes que les instances du sport et les organisations osent en 2021 laisser aux femmes.

J’ai le droit de le faire savoir tout comme elles ont le droit de rester dociles. À ce rythme, le patriarcat a encore de beaux jours devant lui! J’ai honte. J’ai encore plus honte quand je vois qu’Eurosport est capable de signaler ce traitement financier ahurissant et que France 3/France TV Sports est incapable de le mentionner, qui plus est avec Marion Rousse à l’antenne (sororité quand tu nous tiens). Ça me fait mal de ne pas voir dans toutes les femmes des alliées, mais encore plus quand elles desservent nos batailles dont les résultats bénéficient pourtant à toutes, maintenant et aux générations futures.

Heureusement que nous avons été plusieurs à en parler, à le faire savoir pour que la presse s’agite et en parle !

Oui des batailles pas des oppositions HOMME/FEMME car on me reproche souvent ici ou là de mettre toujours en opposition les hommes et les femmes. D’être en colère contre les hommes… J’aimerais ne jamais devoir le faire, mais quand on vit dans une société faite par et pour les hommes, difficiles de trouver sa place sans justement avoir à batailler pour obtenir “le minimum”. Qu’on se le dise, c’est épuisant, c’est énervant mais la question ne se pose pas.

Oh c’est moche une femme en colère, oh encore une féministe hystérique. Je suis fatiguée du sexisme à tous les étages, surtout quand il est pratiqué par certaines femmes elles -mêmes.  Je suis indignée que l’on puisse encore me sortir “bah quoi t’es pas contente ? c’est déjà mieux que rien”. 

Heureusement que des femmes se sont battues, heureusement que des femmes ET des hommes (faut le reconnaître aussi) continuent de se battre.  Donc non, je serai satisfaite lorsque nous aurons les mêmes chances, les mêmes traitements que nos comparses qui eux, ne se posent pas toutes ces questions puisque tout leur est dû, naturellement.

J’espère qu’un jour ces femmes qui ont accepté le minimum seront reconnaissantes envers celles qui ont refusé afin d’obtenir l’égalité ou l’équité. Je veux que les petites filles qui ont vu Paris-Roubaix aujourd’hui et qui, dans 10 ans y participent, auront des primes dignes de ce nom (et pas dans 120 ans cimer !)

Pour conclure: 

J’entends que le cyclisme femme fasse des progrès, s’impose doucement, qu’il faut trouver des financements pour les retransmissions, pour les sponsors mais les crispations sur les primes sont aussi réelles et symptomatiques d’un manque aussi de considération. D’autant plus, lorsque l’on sait que l’organisation offre de primes en-dehors des grilles officielles pour les hommes mais se limite au minimum syndical pour les femmes. Elles illustrent encore la différence de traitement homme/femme dans certaines disciplines alors que d’autres ont déjà comblé depuis longtemps ce fossé et proposent des grilles de récompenses égales H/F. Comme quoi c’est possible de progresser et sur tous les tableaux à la fois 🙂 !

Pour finir sur une note positive : les dirigeants de l’équipe Trek-Segafredo (sponsors de la gagnante : Elizabeth Deignan dont vous pouvez admirer le talent de pilotage de son vélo (analysé et expliqué >>) et surtout les 80km en solo qu’elle a réalisés sur la redif >>) a décidé de combler la différence de prime pour atteindre les 30 000 euros ! (source >>)

@ très vite

NOTE: Bien entendu, Paris-Roubaix n’est pas la seule course à verser des primes indignes aux femmes,  je vous invite à lire un autre article à ce sujet là >>

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5 réflexions sur “Pourquoi les primes Paris-Roubaix femmes sont ridicules et symptomatiques d’un monde du sport encore sexiste ?”

  1. Merci pour cet article très complet Anne ! C’est fou de voir que plein plein de gens se voilent la face et ne voient pas ces inégalités. Le vocabulaire utilisé est révélateur aussi quand les journalistes précisent systématiquement qu’une compétition est féminine, mais jamais masculine…

  2. Bonjour Anne,
    je te tire mon chapeau. J’adore tous tes articles mais à mes yeux celui ci comporte la meilleure des rédactions que tu aies pu faire. Bravo et merci. Il faudrait que tous les “patriarches” le lisent… mais bon… comme c’est écrit par une femme… forcément ce n’est pas “bon” ahahah

  3. Bravo et merci Anne pour cet article et tes messages sur les réseaux sociaux afin que les femmes soient enfin considérées/reconnues comme des sportives au même titre que les hommes !

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